Oui, Shûji va mal. N’importe qui le connaissant pourrait le dire, il suffit de le regarder à cet instant précis. Choe est toujours très attentif à son apparence, il ne choisit jamais un vêtement au hasard, peut essayer des dizaines de combinaisons avant de tomber sur la bonne, il peut passer plusieurs minutes dans la salle de bain afin de définir si une mèche rend mieux lorsqu’elle est posée à droite ou à gauche. Ce sont des détails qui lui tiennent à cœur, il se veut le plus parfait possible. Pourtant aujourd’hui, il ne pense à rien, son esprit est vide. Perséphone ne le reconnaîtrait sans doute pas, elle aimerait voir ce Shûji là, mal rasé et naturel, il en était certain. Elle répétait sans cesse qu’il était mieux lorsqu’il ressemblait à un homme viril, que toute cette attention qu’il se portait à lui-même était en trop. L’étrangère aurait adoré l’ancien lui, le Yankee bagarreur et je m’en foutiste, oui, elle l’aurait adoré. Il n’était pas loin, cet ancien lui, il ne tarderait pas à refaire surface si les choses ne s’arrangeaient pas rapidement. Le métis ne voulait pas de ça, il ne voulait pas que la mauvaise partie de lui reprenne le dessus. Depuis qu’il avait décidé d’intégrer cette école, depuis qu’il avait décidé de se reprendre en main, il avait dut oublier les bagarres, les querelles et toutes les choses qu’il qualifiait de puérile. Ici, personne n’était au courant de celui qu’il avait été, même Perséphone n’en savait qu’une partie.

Il avait presque peur que cette partie de lui reprenne le dessus, presque peur de ne pas savoir gérer sa déprime et de sombrer dans quelque chose de bien trop glauque, quelque chose qu’il serait incapable de contrôler. Ces derniers temps, il ne se reconnaissait presque plus. Les jours où il ne feignait pas la joie se faisait rare et il avait toujours du mal à garder un sourire qui ne soit pas forcé. Il ne fallait pas que qui que ce soit se rende compte de ce qu’il se passait dans sa tête. Il avait besoin de sentir de l’affection autour de lui, il avait besoin de sentir que quelqu’un l’aimait en fait. Il avait envie de retomber amoureux, de redécouvrir ce sentiment qu’il n’avait plus eu depuis son départ du Japon. Les souvenirs se faisaient trop présent ces derniers temps, il n’avait plus envie de jouer. Shûji avait même cessé de coucher avec n’importe qui, oui, il n’avait plus envie de ça. Il s’étonnait lui-même mais il voulait une relation stable, une relation où il puisse se sentir à l’aise, où il sente qu’il a une importance pour l’autre personne. Il en venait à la conclusion que ce n’était pas pour lui, qu’il n’avait pas le droit à ce genre de chose. Les hommes ne veulent que rarement des relations sérieuses, du moins, les hommes de son âge et les femmes, une fois qu’elles savent que vous aimez aussi les hommes, elles finissent par s’en aller, ne pensant qu’au moment où vous les tromperez.

Un soupir et Shûji s’allonge sur le banc, Nao joue toujours dans le bac à sable, elle ne risque rien. Il ferme les yeux et fouille la poche de son jogging à la recherche de son paquet de cigarettes. Il fume trop ces derniers temps, ce n’est bon ni pour lui, ni pour sa voix, il le sait et pourtant… Rapidement, il l’allume et inspire la première bouffée de nicotine. C’est mal oui, il se sent presque coupable mais là, il en a besoin. Besoin pour se vider l’esprit, même si ça ne marche pas vraiment.